Compte tenu des effets pervers et des conséquences néfastes de l’argent dans le système capitaliste qui est considéré comme une fin une soi, la nouvelle société en émergence doit redonner et commence à redonner à l’argent son rôle initial, c’est-à-dire celui de facilitateur d’échanges et de créateur de lien social.
Il doit uniquement être un moyen en vue d’une autre fin afin de remettre au premier plan les valeurs humaines et environnementales.
Accumuler pour compenser ses peurs
L’argent s’est imposé dans les sociétés dites évoluées comme l’élément fondamental, comme une sorte d’énergie maintenant tout le système. En acquérir augmente la sécurité et le pouvoir. Il est le principal instrument de domination. Son accumulation nous rassure face à la peur de l’autre, de l’avenir, de la mort. Nous compensons nos peurs par son accumulation.
L’économie toute entière est désormais dominée par la finance, qui pousse toujours plus loin une logique de profits immédiats au détriment des salariés et des écosystèmes. Une économie qui concentre entre les mains de quelques uns la richesse, une richesse détenue par un nombre toujours plus réduit de personnes. Une économie qui aspire toute la vitalité de la base au sommet.
Muhammad Yunus, économiste, entrepreneur bangladais, Prix Nobel de la paix en 2006 a fait le constat que les 85 personnes les plus riches du monde détenaient autant que les 3,5 milliards les plus pauvres de la planète; que 1 % de la population seulement possédaient la moitié des richesses mondiales(1).
L’essor des modèles économiques alternatifs
La nouvelle société en marche nous témoigne d’une volonté de changement de rapport à l’argent compte tenu de l’essor de modèles économiques alternatifs orientés sur le partage, l’usage, l’entraide et le lien social marquant l’opposition à une économie purement marchande.
En effet, le marché de l’économie collaborative estimé à 15 milliards de dollars en 2014 devrait représenter 335 milliards de dollars en 2025 (2). Quant à l’économie sociale et solidaire (ESS), elle connaît un développement croissant depuis les années 2000 malgré la crise de 2008: l’emploi a augmenté de 24 % contre 4,5 % dans le privé (hors ESS) et elle représente environ 10 % de la population active occupée mobilisant des millions de bénévoles et des dizaines de millions d’adhérents et de sociétaires…
L’essor des modes de financements alternatifs
Le succès actuel des modes de financements alternatifs manifeste également cette volonté de faire différemment.
La finance devient solidaire
En quatre ans la finance solidaire, épargne collectée par des institutions spécifiques servant à financer des activités à forte utilité sociale et/ou environnementale, a été multipliée par 2,5 avec un taux de croissance régulier de 35 % en moyenne (3).
Nous pouvons citer également le crowdfunding ou financement participatif pour lequel il s’agit de la mise en commun de fonds par un grand nombre de participants pour financer un projet. C’est un mode de financement complémentaire aux sources traditionnelles pour les entreprises ou les particuliers. Cette pratique s’est largement développée grâce au développement d’internet et des réseaux sociaux.
Elle peut prendre la forme de don, de récompense, de prêt avec ou sans intérêt (appelé « credit crowdfunding » ou « prêt participatif ») ou d’investissement avec une prise de participation dans le projet en contrepartie de l’apport financier (« equity crowdfunding »).
L’Europe est la région du monde qui compte le plus de plateformes de crowdfunding soit 60 %, contre seulement un peu plus de 20 % en Amérique du Nord et environ 5 % en Asie. Parmi les pays européens, la France est en deuxième position derrière le Royaume-Uni et devant l’Allemagne (4).
La collecte sur les plateformes françaises de crowdfunding est passée de 152 millions d’euros en 2014 à près de 296,8 millions d’euros en 2015 (5).
La création de monnaies locales source de résilience face aux crises
La création de monnaies locales, les monnaies complémentaires sont un autre exemple de ces avancées.
La plupart du temps créée à l’initiative des citoyens, d’une communauté, dans une zone géographique restreinte, elle cherche à redonner à l’argent sa valeur première d’échange et à recréer du lien. La monnaie n’est pas accumulée pour elle même, elle n’a de valeur que dans l’échange. Elle permet de dynamiser l’économie du territoire en question, de favoriser les échanges locaux, de créer de l’emploi local et de diminuer l’impact écologique.
Une monnaie complémentaire se présente comme une alternative à la crise car elle permet de favoriser l’économie locale par l’activité qu’elle génère en offrant un système plus résilient. Gratuite, sans taux d’intérêt ou quasi, elle ne nécessite pas d’être placée, car elle ne rapporte rien. Elle reste de ce fait en circulation permanente et ne s’échappe pas du circuit local. Elle n’a pas pour vocation de remplacer la monnaie nationale et/ou internationale, utile pour les échanges inter et intra-communautaires , elle fonctionne en parallèle, en complément pour retenir une partie de l’argent, pour l’empêcher d’être aspirée par de grandes compagnies internationales, capitalisées et de déserter des pans de l’économie qui en auraient besoin.
Depuis la crise de 2008, les monnaies locales complémentaires sont en pleine expansion un peu partout dans le monde, notamment en Europe. Leur nombre a doublé en Allemagne (60), en Espagne (70) et au Portugal. Mais également au Bresil, au Canada et est passée de 20 à 30 aux Etats-Unis. La Grèce connaît une hausse spectaculaire passant de 1 à 70 monnaies locales complémentaires entre 2008 et 2014 (6).
Il s’agit entre autres du WIR en Suisse, exemple le plus emblématique compte tenu de son nombre d’années d’existence, 80 ans, et de sa survie face aux différentes crises. Le Sardex en Sardaigne lancé en 2009 pour revitaliser l’économie locale. Le Chiemgauer en Allemagne mis en place en Bavière en 2003, utilisé par plus de 3600 personnes, accepté par plus de 600 entreprises et commerces pour un montant de transactions de plus de 7 millions d’euros en 2013. Le Bristol Pound né en 2012 est devenu la plus importante des monnaies locales britannique. Le Fureai Kippu, la monnaie du temps japonnais consacré à l’aide aux personnes âgées (billet pour relation bienveillante) avec laquelle on gagne des unités en contrepartie de l’aide apportée à un senior et que l’on peut ensuite réutiliser, transmettre à une personne âgée de sa famille ou épargner pour soi-même afin de bénéficier à son tour de services spécifiques. Ou encore le Banco de Palmas au Brésil qui compte aujourd’hui 350.000 utilisateurs.
Autant d’éléments mettant en avant le fait que les citoyens cherchent à se détourner du système financier traditionnel qui a montré ses limites et qui ne leur convient plus.
Des initiatives originales pour contrer un système nuisible
Par ailleurs, nous constatons que les populations des pays émergents rivalisent de plus en plus d’initiatives solidaires originales, source d’alternatives à ce système financier capitaliste nuisible.
Les systèmes de prêts mutuels, nés d’abord en Allemagne pour aider les paysans à s’entraider financièrement, ont connu une croissance internationale en se développant aux Etats-Unis (92 millions de membres), en Inde (20 millions de membres), au Canada (11 millions de membres), puis en Espagne, en Afrique et en Amérique Latine.
Il s’agit d’une collectivité, d’un groupe, qui collecte de l’épargne pour ensuite la prêter solidairement à l’un de ses membres. Ce sont des groupes de personnes qui se connaissent (parents, amis, voisins) et qui déposent régulièrement une somme d’argent dans un fonds permanent. Les prêts sont ensuite alloués à chacun des membres selon un ordre déterminé. Le remboursement est sans intérêt ou à taux négligeable, et le système autogéré repose sur la confiance mutuelle. En Afrique plusieurs centaines de mutuelles de solidarité ont récemment vu le jour.
On compterait aujourd’hui environ 53.000 coopératives dans une centaine de pays au monde et 188 millions d’épargnants copropriétaires de ces coopératives (7).
On peut également découvrir la création de petites banques communautaires pour consolider une certaine autonomie financière, pour bénéficier de comptes, de crédits, d’épargne retraite et d’assurance santé comme il peut en exister en Inde, au Mexique ou au Brésil.
La Bourse valorise désormais le capital immatériel des entreprises
Par ailleurs, nous pouvons constater que la valeur des entreprises en Bourse se base davantage sur le capital immatériel que sur le capital financier, sur la richesse que l’entreprise créée et qui n’est pas comptabilisée. Il s’agit de prendre en considération de plus en plus la valeur réelle d’une entreprise et pas uniquement sa valeur comptable basée simplement sur les aspects financiers. Ceci en intégrant le capital client, fournisseur, organisationnel, technologique, humain, sociétal c’est-à-dire la fidélité des clients, la capacité à attirer les talents, à innover… C’est le cas pour des entreprises comme Facebook ou Twitter, alors qu’elles ne réalisent que peu de chiffre d’affaires et qu’elles génèrent même des pertes, elles se vendent beaucoup plus chères que leur valeur comptable car on estime leur valeur future, leur capacité à croître, à créer de la richesse dans le futur.
Selon Alan Fustec, co-créateur de l’Observatoire de l’immatériel : « Le capital immatériel d’une entreprise, c’est toute sa richesse cachée qui permettra de générer de la rentabilité future et qu’on ne lit pas dans les comptes »(8).
Le capital immatériel devient un outil indispensable pour convaincre un banquier, un investisseur, de futurs partenaires. L’aspect financier prend désormais une place moins importante au bénéfice de la valeur immatérielle…
Vers un nouveau rapport à l’argent
La nouvelle société en émergence semble confirmer les avancées vers un nouveau rapport à l’argent lui redonnant une place plus raisonnable et le ramenant à son rôle originel, facilitateur d’échange, pourvoyeur de lien social. Partout dans le monde les citoyens semblent en marche pour une réappropriation de l’usage de l’argent…
Notes
- (1) Rapport publié par l’ONG Oxfam le 20 janvier 2014 à la veille du sommet de Davos. http://www oxfam.org/fr/rapports/ en finir avec les inegalites extremes.
- (2) Alerte Presse PwC, Direction de la communication, 12 mai 2015. Disponible sur: https://polenumerique33.wordpress.com/2015/05/12/economie-collaborative-sharingeconomy-regards-croises-usa-france/
- (3) Source : Finansol.
- (4) Etude de 2014 de AHES Consulting, L’Etat de l’Art du Crowdfunding
- (5) D’après l’association professionnelle des acteurs du crowdfunding : Financement Participatif France et CompinnoV, cabinet conseil pour le développement de la compétitivité et l’innovation des entreprises.
- (6) http://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/rapport_monnaies_locales_complementaires_1.pdf
- (7) MANIER Bénédicte, Un million de révolutions tranquilles : Travail, argent, habitat, santé, environnement…Comment les citoyens changent le monde, Les liens qui libèrent, 2012.
- (8) http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2011/10/05/cercle_38399.htm