Une nouvelle civilisation en marche
Une révolution technologique fulgurante – De nouveaux outils
Dès 1970, Alvin et Heidi Toffler célèbres futurologues américains, dans leur premier best seller, le Choc du futur, évoquent l’ampleur du changement que nous vivons et les difficultés qu’a la collectivité à s’y adapter (8). Dans leur ouvrage suivant, La Troisième vague paru en 1980, ils apportent une contribution plus aboutie à l’explication de notre époque en plaçant la révolution de l’information dans une perspective historique la comparant aux deux autres grandes transformations que furent la révolution agricole et la révolution industrielle (9). Nous serions en train de vivre , de ressentir l’impact de la troisième grande vague de changement de l’histoire et de créer une nouvelle civilisation. La révolution de l’information changerait le rythme, le contenu, les perspectives de notre vie. L’histoire n’avançant pas de manière linéaire mais par chevauchement de périodes telles des vagues qui se succèdent et se superposent.
Cette approche nous apporte un éclairage clé sur le malaise qui caractérise notre société aujourd’hui et nous permet de comprendre que nous sommes dans une phase de transition entre deux mondes. Deux mondes dans lesquels la planète entière semble désormais insérée compte tenu du caractère mondialisé et globalisé de nos sociétés.
Ce nouveau monde est celui des nouvelles technologies de l’information et de la communication qui révolutionne de manière fulgurante nos modes de production, de consommation, de vie, par l’augmentation des capacités de stockage, de transmission, de traitement de l’information, de mise en réseau de milliards de personnes et de milliards d’objets demain. Les modifications profondes sont économiques, politiques, sociétales…
Selon Jeremy Rifkin, Les nouvelles technologies impliquant une nouvelle organisation basée sur le partage libre de l’information, sur les réseaux d’énergie décentralisés et sur l’impression 3D vont entraîner le développement d’une société basée sur de nouveaux rapports sociaux économiques à l’encontre de la propriété privée. Un nouveau monde qui remet du lien entre les humains mobilisant notre nature empathique voir une nouvelle conscience pour un monde en crise (10).
En 2014 dans son ouvrage la nouvelle société au coût marginal zéro, Jeremy Rifkin évoque la mort du capitalisme et la mise en place d’un nouveau paradigme plus collaboratif, plus intelligent, plus durable dont le changement des règles bouscule l’ancien monde (11).
Une révolution scientifique silencieuse – Une nouvelle vision
Ce nouveau monde est aussi celui de nouvelles découvertes scientifiques qui modifient notre vision du monde (12).
La physique quantique, la relativité générale préfigurant le Transmodernisme avec une vision plus holistique et interdépendante des phénomènes scientifiques, dépassent la science classique, fragmentée, parcellaire héritée de la Modernité et caractérisée par un raisonnement rationnel, mécaniste, quantitatif.
Pourtant d’une extrême pertinence et d’une grande rigueur intellectuelle, cette approche analytique utilisant les méthodes réductionnistes qui a permis de nombreuses découvertes ne permet pas de répondre aussi bien que la nouvelle approche scientifique aux enjeux globaux, systémiques du nouveau monde.
Nous ne pouvons plus nous permettre d’analyser les choses séparément. Chaque élément faisant partie d’un même tout. C’est une vision qui doit être globale, transdisciplinaire, transversale car tout est imbriqué, interdépendant. Les hommes, la nature, la société sont des organismes vivants interdépendants, reliés. Le réel doit être pensé comme un organisme vivant et non comme une machine.
Nous entrons dans un nouveau paradigme scientifique sur lequel travaille l’Unesco depuis plusieurs années (13). La vision du monde change et doit changer. Nous devons modifier les lunettes à travers lesquelles nous percevons le réel pour mieux le comprendre et l’appréhender.
Une révolution sociétale – De nouvelles valeurs
C’est aussi un nouveau monde face auquel de nouvelles valeurs apparaissent, de nouvelles valeurs de vie, de qualité de vie, de partage, de bien-être, de respect, de coopération, avec une progression forte de la conscience environnementale, du développement durable (14).
Selon l’étude du sociologue américain Paul H Ray et de la psychologue Sherry Ruth Anderson, 25 % des citoyens européens et américains seraient en train de changer de valeur en silence, les créatifs culturels (15). Ils conjugueraient l’écologie, l’alimentation biologique, le développement personnel, les médecines douces, une implication sociale, des valeurs féminines et une dimension spirituelle. Ce groupe partagerait les mêmes valeurs en cultivant l’indépendance vis à vis de la société de consommation, en proposant des solutions alternatives au système actuel tout en plaçant l’humain au centre de la société.
Parallèlement à cette étude nous voyons apparaître un peu partout dans le monde des citoyens pionniers de nouveaux modes de vie. De l’utilisation de la monnaie locale à la construction d’habitats coopératifs écologiques en passant par des jardins collectifs urbains, ils fabriquent une nouvelle société plus juste, plus solidaire et plus humaine…
Un certain nombre d’auteurs dont Bénédicte Manier (16) qui a écrit Un million de révolutions tranquilles, recensent ces nouvelles initiatives qui se développent à grand pas (17). Des initiatives d’un nouveau monde dont nous pouvons également percevoir les contours dans le documentaire « Demain » de Cyril Dion, co-créateur du mouvement des Colibris avec Pierre Rhabi (18).
Les citoyens demandent, initient un monde nouveau.
Les mouvements Podemos en Espagne, Syriza en Grèce, 5 étoiles en Italie et l’émergence de Nuit Debout en France sont le symbole de cette volonté de changement, de cette transition vers de nouvelles alternatives, de nouvelles perspectives, un nouveau monde qui n’en est qu’à ses prémices.
Un nouveau paradigme économique
L’approche industrielle des problèmes ne permet pas de trouver un chemin crédible vers un monde soutenable. Une croissance quantitative surexploitant les ressources naturelles et détruisant notre écosystème n’est plus viable, de nouvelles alternatives apparaissent.
L’économie n’est pas en reste de cette mutation et la nouvelle économie constitue une part importante de cette nouvelle ère.
Les différents modèles qui émergent tels que l’économie collaborative, participative, circulaire,… sont une réponse à l’émergence de ce monde nouveau. Ils représentent les branches de cette nouvelle économie largement influencée par les TIC (technologies de l’information et de la communication).
Celle-ci est caractérisée par une nouvelle structure de coût qui est totalement différentes de ce qu’elle était dans l’économie industrielle (19). C’est la première unité à fabriquer qui devient onéreuse dans cet univers, la duplication des autres unités ne coûtent rien, comme c’est le cas pour un logiciel, un film ou encore un médicament. Ce qui coûte cher c’est la recherche en amont, le savoir, l’innovation et non la fabrication du produit en lui-même.
C’est l’information, la connaissance donc l’immatériel qui donne de la valeur à un produit, qui apporte de la valeur ajoutée, qui devient le principal facteur de production, c’est le capital humain et non les investissements matériels. Les travailleurs deviennent propriétaires des moyens et des outils de production dans l’économie de la connaissance.
Dès 1973, le sociologue Daniel Bell parlait de notre entrée dans une société post-industrielle qu’il qualifiait de société de la connaissance où le savoir devenait une ressource stratégique dont dépendait de plus en plus l’économie (20).
Peter Drucker, référence internationale en matière de management évoquait à partir de 1993, dans son ouvrage Au delà du capitalisme, la métamorphose radicale de la fin du 20è siècle (21). Selon lui, à l’intervalle de quelques siècles, l’histoire a l’habitude de traverser des bouleversements qui modifient la conception du monde, ses valeurs, ses structures sociales, ses politiques…et nous serions en train de vivre une telle transformation que nous mettons du temps à percevoir…Il qualifiait la nouvelle société de post-capitaliste dont le principal facteur de production est le savoir et où capitalistes et prolétaires font place aux travailleurs du savoir et des services (22).
En effet, la part des emplois dans l’industrie ne cesse de diminuer dans les pays développés.
En octobre 2005, le journal anglais The Economist publiait un article indiquant que la part des emplois industriels aux États-Unis était descendue en deçà des 10% alors qu’elle représentait encore plus de 30 % dans les années 50.
L’économie devient immatérielle, on parle de société de l’information, de société post-industrielle.
La concurrence fait désormais place à la coopération entre les entreprises, le brevet à l’open source, les organisations deviennent décentralisées, souples, flexibles et fonctionnent en réseau et plus de manière pyramidale, hiérarchique. L’information qui est essentielle doit circuler, les structures se doivent donc d’être plates. Le management devient collaboratif. Des entreprises (23) appelées licornes (24) apparaissent.
D’une société basée sur la cueillette et la chasse à une société agraire basée sur l’agriculture puis à une société capitaliste basée sur l’industrie nous entrons dans une société immatérielle basée sur la connaissance.
Selon un rapport établit en 2007 par le Conseil des ministres européen, 40% de l’économie de l’Union Européenne serait déjà dans l’immatériel (25), dans l’économie de la connaissance. Selon des observateurs de Harvard, l’économie américaine serait immergée à plus de 70% et s’infiltrerait de plus en plus dans les différents secteurs d’activités.